Turquie: l’Etat laïc sous menace des islamo-conservateurs
Par N.TPublié le
La laïcité de l’État turc serait-elle la nouvelle cible des islamo-conservateurs au pouvoir, dans la continuité de la vague de répression contre tous les mouvements progressistes ? C’est ce que laisse supposer la dernière déclaration du président du Parlement, Ismaïl Kahraman, membre du Parti de la justice et du développement (AKP, islamiste). «En tant que pays musulman, pourquoi devrions-nous rester en retrait de la religion ? Nous sommes un pays musulman. (…) Avant tout, la laïcité ne doit pas figurer dans la nouvelle constitution», a-t-il martelé le 25 avril, lors d’une conférence.
La déclaration a aussitôt déclenché des manifestations à Ankara, la capitale, à Istanbul, à Izmir. Les rassemblements qui ont eu lieu le 26 avril sous le mot d’ordre «La Turquie est laïque et le restera» ont été violemment réprimées. Les leaders de l’opposition ont dénoncé l’instrumentalisation politique de la religion, source de «chaos», reprochant à l’AKP de vouloir briser le socle de la laïcité sur lequel repose la République turque fondée par Mustafa Kemal (Atatürk) en 1923.
Le président Erdogan, fondateur de l’AKP en 2001, s’est fendu quant à lui d’une déclaration laissant entendre qu’il n’approuvait pas la sortie du président du Parlement, estimant que ce dernier exprimait seulement «ses propres opinions». En ce qui le concerne, sa «pensée est claire depuis le début : l’État doit se tenir à égale distance de tous les groupes religieux, c’est ça la laïcité», a-t-il déclaré le 26 avril à partir de Zagreb (Croatie), où il était en visite.
Rassurer l’UE
Des propos qui visent sans surprise à rassurer l’UE. Le gouvernement turc espère une relance des négociations en contrepartie de l’accord sur les réfugiés. Mais nul n’est dupe dans les milieux progressistes attachés au caractère laïc de l’État turc. Dans la réalité, l’offensive est bel et bien engagée sur le terrain, dans les secteurs les plus sensibles de la société, pour instaurer la domination sans partage des signes et des comportements religieux.
Le port du voile est ainsi autorisé dans les universités, dans la fonction publique, de même que dans les lycées. L’enseignement de l’islam est obligatoire dans l’école publique. Les salles de prière rouvrent partout où cela est souhaité, notamment à l’intérieur des enceintes universitaires. Les autorités religieuses mènent de véritables campagnes d’islamisation de la jeunesse, tandis que les centres de formation d’imams se multiplient à travers le pays.
Manœuvres et attentats
Faute de majorité parlementaire pour réformer la Constitution (317 députés au lieu de 330) et instaurer le régime présidentiel omnipotent voulu par Erdogan, l’AKP tente de «travailler» en profondeur la société turque dans l’objectif évident de faire pression pour ébranler l’État laïc. Ces manœuvres politico-idéologiques interviennent dans un contexte d’attentats sanglants à répétition et d’une offensive de Daech à la frontière avec la Syrie. Le pouvoir turc donne le sentiment de vouloir jouer sur la peur pour accompagner la dérive autoritaire du président Erdogan et accélérer l’islamisation du pays.