mère nourricière de l’hydre islamiste, en Irak puis en Syrie, l’Arabie saoudite, tout comme le Qatar, est désormais dans une mauvaise posture... (DR)

Les monarchies pétrolières et la Turquie confrontées à l’axe Moscou-Damas-Téhéran

Arabie saoudite, Qatar, Turquie, Jordanie, Égypte, Israël… Comment les acteurs régionaux se positionnent-ils face à la «coalition» anti-Daech pour laquelle se démène François Hollande, sans vraiment y parvenir ? De quelle façon s’articulent les intérêts des uns et des autres et comment les rapports de force évoluent-ils ?

Deux mois après l’intervention de l’aviation russe en Syrie et une vingtaine de jours après les terribles attentats de Paris, la donne a profondément changé au Proche-Orient sur le front diplomatique. « L’État islamique » est devenu la cible prioritaire des frappes franco-russes, notamment son activité pétrolière, si l’on en croit les conclusions de la rencontre entre Hollande et Poutine, le 26 novembre. Pour la France, cette «coordination» a un prix : le renoncement au départ immédiat de Bachar Al Assad et, même, l’association de son armée à la lutte contre l’«EI». Une révision notable de la position de Paris obtenue en échange d’une moindre pression de la part des Russes sur les milices d’opposants au régime syrien.

Ce retournement diplomatique a pour conséquence immédiate d’infléchir la stratégie des monarchies pétrolières, farouchement opposées à Bachar Al Assad et qui redoutent plus que tout le retour de l’Iran, leur ennemi juré, sur la scène internationale à la faveur des accords sur le nucléaire.

«L’intervention russe a rebattu les cartes…»

Mère nourricière de l’hydre islamiste, en Irak puis en Syrie, l’Arabie saoudite, tout comme le Qatar, est désormais dans une mauvaise posture. Ces deux pays avaient protesté contre l’intervention russe, avant de baisser d’un ton et de se mettre carrément en sourdine devant des soubresauts diplomatiques qui provoquent leur isolement progressif. Leurs capacités d’influence sur les milices islamistes, via des réseaux occultes de financement et de livraison d’armes, ont été sérieusement entamées. Il leur faut désormais tenir compte d’un axe Moscou-Damas-Téhéran en lien avec Paris. Un nouveau rapport de force.

«L’intervention russe a rebattu les cartes, car elle s’inscrit dans une politique pragmatique et cohérente», résume Roland Lombardi, docteur en histoire, chercheur associé à l’IREMAN (1) et consultant indépendant chez JFC-Conseil. Selon lui, «l’Arabie saoudite, surtout, est en position de faiblesse. Le royaume est confronté à de gros problèmes internes, notamment économiques, liés à sa politique pétrolière qui visait à affaiblir la Russie et l’Iran. Le royaume en subit le contrecoup avec quelque 50 milliards de dollars de pertes ». Certains princes – l’Arabie saoudite en compte un millier – «mènent leur propre jeu, continuent à financer les rebelles sur leurs propres deniers pour nuire au roi ou faire plaisir à des dignitaires religieux engagés dans des luttes de pouvoir», poursuit-il.

Le Qatar aurait, quant à lui, sensiblement diminué ses financements à l’opposition syrienne, sous la pression internationale et afin de redorer son blason et préserver ses nombreux investissements à l’étranger. D’autant que son rôle a été largement mis en évidence auprès des djihadistes dans le Nord Mali, des hordes d’AQMI (al-Qaida au Maghreb islamique) et des groupes armés qui fourmillent en Libye.

La Turquie dans une mauvaise passe…

Autre acteur incontournable dans la région : la Turquie d’Erdogan. «Leur souci principal, c’est les Kurdes, lesquels sont les alliés objectifs de la coalition contre l’ “EI”», rappelle Roland Lombardi. Le pays est de plus fortement soupçonné de fermer les yeux sur la vente du pétrole, du coton et autres transactions pour le compte de Daech. Erdogan pourrait sans doute être tenté de poursuivre ce jeu trouble, mais le régime est dans une mauvaise passe. La Russie est un partenaire économique important et les représailles sur ce terrain, suite au Sukhoï abattu le 24 novembre, auraient un impact non négligeable. Le pays n’est pas non plus à l’abri de pressions de la part de l’allié américain, partie prenante dans la lutte contre l’«EI».

Sans être directement impliqué, Israël est au centre de nombreuses spéculations sur le thème de son positionnement à l’égard de Daech. L’État hébreu serait enclin à tisser une alliance avec l’Arabie saoudite, ennemi, lui aussi, de l’Iran et du Hezbollah. L’ancien ministre des Affaires étrangères et ex-premier ministre, Dominique de Villepin, met en garde contre une récupération de la cause palestinienne par l’«EI». «Regardons aussi la stratégie de Daech au Proche-Orient, où il se prépare peu à peu à agir à Gaza et en Cisjordanie, pour usurper la cause palestinienne, l’un des plus puissants vecteurs de ressentiment parmi les populations musulmanes», écrit-il dans une tribune publiée dans le journal «Libération».

Qu’en est-il des interventions au sol des acteurs régionaux, dont la nécessité est de plus en plus évidente pour réellement déloger les djihadistes de villes stratégiques ? «La Jordanie est le seul pays qui fait un gros travail en proportion de ses moyens. Les Saoudiens n’ont pas de tradition militaire, leur présence au Yémen est un fiasco. L’Égypte dispose d’unités compétentes, mais son implication reste très peu probable sachant la situation dans le Sinaï et le voisinage de la Libye en feu», rappelle Roland Lombardi. «Les troupes au sol, ça ne peut être que l’armée du régime syrien, les milices chiites en Irak, l’armée irakienne lorsqu’elle aura retrouvé des capacités opérationnelles, le Hezbollah et les Kurdes», précise-t-il.

Les attentats perpétrés à Bamako, le 20novembre, et à Tunis, le 24, mettent enfin en évidence les ramifications de «l’État islamique» dans le Sahel et au Maghreb et notamment en Algérie où sont régulièrement démantelées des cellules dormantes lourdement armées.