Mohamed Merah, l'auteur des massacres. (DR)

Toulouse : la tragédie et sa leçon

Après plus de dix jours de psychose et des tragédies inqualifiables, dignes d’une atmosphère et d’un scénario hitchcockien, la région toulousaine et la France tout entière soufflent. Mohammed Merah est mort, et plus personne ne tremblera au passage d’un scooter aux abords d’une caserne ou d’une école. Trois militaires tués, dont au moins deux coreligionnaires de l’assassin, un jeune rabbin juif de 30 ans, enseignant de son Etat, ses deux enfants qui ne dépassent pas cinq ans, et une autre enfant, à peine huit ans, qu’il a poursuivie jusque dans la cour de l’école avant de la rattraper, la tirer par les cheveux et lui tirer une balle dans la tête à bout portant : tel est le trophée de Mohamed Merah, lui-même ne dépassant pas 24 ans, abattu à son tour à l’issue d’une opération du RAID, une section d’élite de la police française, à l’issue d’une opération compliquée, voire rocambolesque, qui aura duré plus de trente heures. Tel est donc le trophée qu’il présentera à Allah, au nom duquel il aura commis son forfait, pour mériter, lui a-t-on fait croire, sa place au Paradis.

Mais, au-delà des faits, au-delà des crimes abjects qu’il a commis, que faut-il penser de Mohamed Merah et de ses motivations ? Que faut-il penser d’une société capable de produire un tel monstre, lorsque tous ceux qui l’ont connu affirment que rien ne l’y prédestinait ? Que faut-il penser d’une classe politique plus prompte à exploiter les évènements, aussi dramatiques soient-ils, qu’à les prévenir ?

Petit voyou, certes, mais tous ceux qui l’ont côtoyé affirment que le « monstre » était un bon vivant, plutôt respectueux et bien élevé, même s’il est capable de violence, ne dédaignant ni la compagnie de jeunes filles, ni la fréquentation des boîtes de nuit, un comportement aux antipodes de la rigueur et de la morale islamistes au nom desquelles il a commis l’innommable et pour lesquelles il a bêtement sacrifié sa vie après leur avoir fait offrande de sept autres vies innocentes.

Une citoyenneté à deux vitesses

Cette tragédie a un mérite : elle oblige la France, c’est-à-dire l’élite française et sa classe politique, à s’interroger au minimum et à se remettre en cause si elle en avait la lucidité et le courage. C’est d’autant plus propice que la tragédie est venue perturber une campagne électorale qui commençait, précisément, à prendre une tournure assez désolante dans la mesure où l’immigré, et pire encore, le français d’origine non européenne, commençait à être désigné comme l’origine de tous les maux par certains candidats et leurs lieutenants.

Non pas que la problématique de l’immigration ne doive pas être débattue en France, non pas que la gestion des religions en général et de l’islam en particulier ne méritent pas une attention soutenue dans un pays où la laïcité constitue le ciment de la nation depuis la révolution et, plus particulièrement, depuis l’adoption de la loi de 1905 ; c’est la nature des débats et leur manque de profondeur, voire leur absence d’objectivité et de courage dans certains cas, qui pose problème.

C’est aussi, faut-il le souligner, la citoyenneté à deux vitesses, que tout le monde feint de ne pas voir, qui est à l’origine de certains comportements, certes ignobles, mais prévisibles. Que l’on appelle cela racisme ou qu’on le qualifie autrement, la réalité et le résultat sont les mêmes. Quel responsable français peut prétendre aujourd’hui qu’en France l’égalité des chances est réelle, que l’on s’appelle Mohamed ou Albert, que l’on soit blond, noir ou basané ? Que l’accès au logement et à l’emploi n’est pas influencé par la couleur de la peau, la consonance du nom ou la religion du prétendant ?

Sur cette question précise, l’on se demande s’il ne faut pas préférer la franchise brute des Le Pen à la condescendance aussi inefficace qu’insupportable, et parfois même hypocrite, d’autres candidats, qui veulent à tout prix se réclamer de l’humanisme, mais qui n’entreprennent rien pour atténuer le mal à défaut de l’éradiquer.

Venons-en à la politique. Parce que, dans le fond, le problème c’est l’islamisme et son corollaire, le terrorisme islamiste. Ce n’est ni la viande hallal, ni la viande kacher qui ont tué les victimes de Toulouse. Encore moins une quelconque incompréhension de l’identité nationale, si tant est que ce concept ait encore un sens à l’aube du troisième millénaire.

Intégrisme : bon pour le Sud, inacceptable au Nord

Les premiers responsables de la tragédie sont l’intégrisme islamiste, ceux qui en ont fait une philosophie et une idéologie, ceux qui contribuent à le diffuser et ceux, aussi, qui refusent d’en mesurer la portée et les dangers. Or, l’intégrisme islamiste n’est pas né en France. La France l’a importé. Volontairement. La France de François Mitterrand tout particulièrement. Qu’on se rappelle simplement que lorsqu’au début des années 90, le Mouvement islamique armé (MIA) et les Groupes islamiques armés (GIA) tuaient, incendiaient, violaient et égorgeaient en Algérie, au nom de leur interprétation spécifique de l’islam, la France accueillait les dirigeants du Front islamique du salut (FIS), la couverture politique de ces deux organisations, au nom du droit à l’exil politique, qu’elle refusait à leurs victimes. Elle en a accueilli des centaines.

Aujourd’hui ils ont proliféré. Ils ont fait des petits dans tous les sens du terme, et ils ont trouvé dans les banlieues, c'est-à-dire des ghettos où s’entassent et dépérissent des citoyens de seconde zone, un terreau propice à leur idéologie meurtrière. Il y a vingt ans, les Maghrébins, quand bien même ils pratiquaient leur religion pour une partie d’entre eux, ils le faisaient dans une discrétion qui les honore et honore les fondements de la république laïque qu’est censée être la France.

Une question se pose alors : est-il possible de tolérer, d’encourager, voire de soutenir l’intégrisme islamiste au sud de la Méditerranée et dans le monde dit arabe, et de le vilipender dès qu’il accoste sur la rive nord de la même mer ?

Cette question, la classe politique et les intellectuels français devront se la poser, dorénavant, chaque jour que Dieu fait. Bernard Henry Levy a beau être fier de l’œuvre qu’il s’attribue en Libye et Nicolas Sarkozy en faire un élément phare d’un bilan qu’il préfère faire oublier, selon la terminologie de ses adversaires, ils n’en sortent grandis ni l’un, ni l’autre, aux yeux des opinions des deux rives. Que tous les deux nous expliquent comment les intégristes libyens, tunisiens, algériens ou égyptiens sont fréquentables, sinon légitimes, voire légitimés par la force de l’OTAN dans le cas de la Libye, lorsqu’ils sévissent dans leurs pays respectifs, et pourquoi ils deviennent démoniaques, diaboliques, méphistophéliques, lorsqu’ils sont français –parce que c’est le cas- et qu’ils tentent d’agir de la même manière chez eux, dans leur pays, la France !

Que les Français sachent une chose essentielle, que leurs dirigeants leur cachent : Mohamed Merah, cet assassin en série, est un enfant de chœur par rapport à ceux que leur gouvernement, d’un commun accord avec les Etats-Unis et leurs très démocratiques alliés qataris et saoudiens, tentent de porter au pouvoir dans les pays du sud de la Méditerranée ! Parce que ceux-là ne se limitent pas à tuer des militaires, un enseignant et des enfants, ils interdisent aussi la vie à des sociétés entières, enterrent leurs aspirations et détournent leurs destins.

Et, pour rester cohérent et réaliste, les Français doivent savoir que plus le Sud étouffe sous le poids des interdits, de la mal vie et de l’absence de libertés, plus l’attrait du Nord devient grand et plus la tentation migratoire gagne du terrain. Faut-il une démonstration mathématique pour prouver que, quel que fût le sort malheureux de ces peuples sous des dictatures, condamnables à n’en pas douter, il ne peut qu’empirer sous les régimes théocratiques promis ? Puis, de toutes façons, au nom de quelle logique et au nom de quelle éthique, la France en particulier et l’Occident en général, accompagneraient et encourageraient-ils un changement non pas vers le meilleur, mais vers le pire, dans ces pays ?

Les origines et la confession de la discorde

Une chose est sûre, cependant ; si Mohamed Merah n’a pas réussi à mettre "la France à genou" comme il l’a si puérilement prétendu, il n’en demeure pas moins qu’il a réussi le tour de force, malgré lui au demeurant, de changer le cours, et sans doute les thématiques, de la campagne électorale à laquelle il a imposé une halte. Ni Nicolas Sarkozy, ni François Hollande, ni Marine Le Pen et François Bayrou, pour ne citer que les candidats les plus en vue, ne peuvent continuer leur campagne comme si la tragédie de Toulouse n’avait pas eu lieu. Se posera alors la question de la sacro-sainte intégration des Français d’adoption, notamment ceux venus du sud de la Méditerranée. Un bilan sans concession des politiques mises en œuvre devient incontournable.

Et, si l’on a le courage d’aller au fond du débat, les surprises ne manqueront pas, car la responsabilité des échecs n’incombe pas aux seuls acteurs politiques. Intellectuels et journalistes ont leur part de responsabilité dans les amalgames sur lesquels surfe l’extrême droite et que ne dédaigne pas d’exploiter la droite républicaine lorsque les aléas électoraux l’y invitent. La gauche, en se situant à l’opposé, n’est pas exempte de critique. La faute politique de François Mitterrand, évoquée plus haut, en est un exemple parlant.

Intellectuels et journalistes, à travers des concepts et une terminologie sémantique qu’ils ont imposés à la classe politique et à l’opinion publique portent une responsabilité certaine dans ce qu’il convient d’appeler « la stigmatisation » de la frange dite « musulmane » de la population française. Au nom de quel principe, dans un pays laïc, doit-on préciser, en effet, que tel Français est d’origine algérienne et de confession musulmane, alors qu’il est né en France et qu’il n’a probablement jamais vu l’Algérie ? Au nom de quelle justice peut-on interdire à un Maghrébin d’être chrétien, juif, bouddhiste, déiste, agnostique, ou tout simplement athée ? Viendrait-il à l’idée d’un journaliste de préciser que le fils de Nicolas Sarkozy, qui a bombardé de projectiles un policier en faction devant l’Elysée, qu’il est d’origine hongroise et de confession… Quelle confession déjà ?

A-t-on jamais précisé dans un journal télévisé ou dans un journal tout court que tel criminel, au nom bien français, est catholique ou protestant ? Pourtant, l’édit de Nantes, puis son abrogation et ses conséquences sanglantes, sont passés par là…

La tragédie de Toulouse changera, sans conteste, la nature de la campagne présidentielle. Le « vivre ensemble » et la donne sécuritaire seront les invités d’honneur. Et, par vivre ensemble, gageons que les candidats les plus lucides comprendront que la France ne peut vivre en autarcie et qu’elle ne peut faire l’économie d’une lecture plus réaliste, moins égoïste et moins dogmatique, des bouleversements que connait sa rive sud. Parce que, ensemble, c’est aussi au-delà de ses propres frontières...