Entretien. Samy Cohen : «L'opinion publique indifférente en Israël est le plus grand ennemi de la paix»
Par N.TPublié le
Samy Cohen, directeur de recherche émérite à Sciences-Po, spécialiste de politique étrangère et de défense, est, entre autres, l’auteur d’une enquête sur le camp de la paix en Israël. Il revient sur le désintérêt des partis d’opposition à l’égard des «colombes». Elles n’ont pas de relais politique susceptible de faire pression sur les faucons.
_.L’entrée en scène de Donald Trump marque-t-elle un tournant dans le conflit israélo-palestinien ?
Samy Cohen. Si l’on s’en tient aux déclarations durant la campagne, sa prise de fonction pourrait en effet marquer un tournant. Donald Trump a clairement exprimé son soutien à Israël, le déplacement de l’ambassade des États-Unis à Jérusalem a été évoqué… L’extrême droite israélienne s’est aussitôt sentie encouragée à faire pression pour de nouvelles colonisations. Le gouvernement a d’ores et déjà pris la décision de construire 2 500 logements supplémentaires dans certains blocs de colonies. Et on va sans doute assister à une accélération dans ce que l’on appelle le grand Jérusalem-Est. Le déplacement de l’ambassade est toutefois moins évident. Trump doit tenir compte des alliés arabes, Jordanie, Arabie saoudite et autres. Ces derniers y voient une rupture du statu quo qui pourrait entraîner une flambée de violence en Cisjordanie.
_.La conférence de Paris, qui a rassemblé plus de 70 pays le 15 janvier dernier, peut-elle encore avoir un sens au plan diplomatique ?
S. C. Elle n’avait pas de sens et elle n’en aura pas. Cette conférence avait seulement pour objectif d’encourager les deux parties à reprendre les négociations sur la base du principe de la coexistence de deux États, palestinien et israélien.
_. Le camp de la paix en Israël, sur lequel vous avez enquêté, compterait sur les pressions internationales, est-ce encore envisageable ?
S. C. Une chose est sûre : ce camp de la paix ne compte plus sur la société israélienne, ni sur la classe politique israélienne pour promouvoir un processus de paix. Les organisations sont désormais convaincues que la solution ne viendra pas de l’intérieur. C’est pourquoi, depuis trois ou quatre ans, elles s’adressent, par exemple, à des Parlements étrangers pour qu’ils reconnaissent l’État palestinien. Elles ont salué la résolution 2334 du 23 décembre 2016 du Conseil de sécurité de l’ONU condamnant la colonisation israélienne. Mais Obama les a considérablement déçus. Et l’arrivée de Trump est un coup dur.
_.Pourquoi ce camp de la paix n’arrive-t-il pas à mobiliser dans l’opinion israélienne ?
S. C. Le camp de la paix est très divisé. Il y a plus de 150 ONG israéliennes et israélo-palestiniennes de paix et des droits de l’homme en rangs dispersés. Chacune d’elles protège son identité, ses financements. Dans sa grande majorité, l’opinion publique israélienne se sent par ailleurs très éloignée des préoccupations des Palestiniens. L’injustice, le risque de se diriger vers un État d’apartheid… Ces arguments-là ne mobilisent plus. L’indifférence est aujourd’hui le plus grand ennemi du camp de la paix. Les dirigeants des partis d’opposition (travailliste, centriste) se désintéressent enfin du processus de paix. Ils n’en font pas une priorité. Le camp de la paix n’a pas de relais politique pour faire pression.
_. Un rapport confidentiel des chefs de mission de l’UE, publié par «le Monde», rapporte l’abandon dans un état lamentable des quartiers arabes de Jérusalem… La situation est-elle dans une impasse ?
S. C. L’opinion publique en Israël vit avec le sentiment que tout va bien, qu’il y a certes ici ou là des attentats, mais que dans l’ensemble la situation est calme. Le camp de la paix n’arrête pourtant pas d’alerter. Et des généraux et d’anciens hauts fonctionnaires des services de sécurité signalent que les conditions de vie des Palestiniens sont intenables, qu’une nouvelle explosion est inévitable. C’est l’image d’une voiture qui va droit dans le mur.
Dernier ouvrage paru : « Israël et ses colombes : enquête sur le camp de la paix » (Gallimard, 2016)