«  Vivre ou mourir, quelle est la dif­fé­rence lorsqu’on est enfermés dans la bande de Gaza  ?   (Xinhua)

Bande de Gaza, l’enfer du blocus israélien

La bande de Gaza n’en finit plus de panser ses plaies. 
La guerre menée 
par Israël tout 
autant que le blocus tuent les Gazaouis. 
Plus que jamais 
les Pales­ti­niens 
ont besoin de 
la récon­ci­liation entre toutes les orga­ni­sa­tions, sin­gu­liè­rement entre le Fatah et le Hamas. Reportage dans cette prison à ciel ouvert.

Mohamed Abed ­regarde son terrain dans ce hameau d’Ezet Abed Rabbo, non loin de la « fron­tière » avec Israël. Quelques ruines y sub­sistent encore, en partie recou­vertes par les herbes. Voilà ce qu’il reste du passage de l’armée israé­lienne, il y a plus de trois ans main­tenant, lors de l’opération «Plomb durci ». Là, Mohamed a vu son père et son frère se faire abattre et leur troupeau de vaches décimé. Il a assisté impuissant au plas­ticage de sa maison de deux étages où il a passé toute sa vie. Lui et sa famille ont passé trois ans sous des tentes. Comme des réfugiés. Sur leur propre terre. En novembre ­dernier, alors qu’ils venaient d’emménager dans une nou­velle habi­tation pro­vi­soire, mise à dis­po­sition par l’Agence des Nations unies pour les réfugiés ­pales­ti­niens (UNRWA), les bom­bar­de­ments israé­liens ont ­repris. C’était l’opération «Pilier de défense». Il a bien cru que ça allait recommencer.

Dans la maison jus­tement, les femmes pré­parent le pain sous l’œil attentif et perçant de la vieille Sabah Abed. La pièce est humide à cause des infil­tra­tions. Il fait froid. Un bébé dans les bras, elle, qui avait trois ans en 1948, au moment de la Nakba (la catas­trophe), a quitté son village de Galilée pour se retrouver dans cette bande de Gaza. « On n’est jamais tran­quilles, dit-​​elle. Les Israé­liens ­attaquent tou­jours. En novembre, on a eu peur. On a fui, on s’est réfugiés plus loin parce qu’on a bien cru qu’ils allaient revenir. » Deux jours aupa­ravant, même frayeur en entendant un drone sur­voler la zone. Tirera  ? ­Tirera pas  ? Voilà la drôle de loterie des ­Pales­ti­niens  ! « Ils nous ont déjà tout pris et ils ne nous laissent même pas tran­quilles, s’emporte Sabah Abed. Les Israé­liens font un blocus contre nous et vous, les pays occi­dentaux, vous aidez les Israé­liens. Vous les laissez même tester de nou­velles armes ici. Nous, nous n’avons pas de chars, pas d’avions. On a juste quelques mis­siles qui sont comme des jouets face à leur armada. Les Israé­liens disent que nous sommes des ter­ro­ristes  ? Mais qui sont les véri­tables terroristes  ? »

L’occupant israélien ne laisse aucun répit aux Gazaouis, qu’ils cultivent leurs champs ou qu’ils tentent de vivre des pro­duits de la mer. L’occupant israélien contrôle tout  : la terre, le ciel, la mer. El Hissi en sait quelque chose. Ce vieux marin-​​pêcheur aux mains usées par le sel, le visage buriné de celui qui passe sa vie au vent, vient à peine de récu­pérer son bateau après un mois et demi d’immobilisation forcée  : merci les Israé­liens. Un cha­lutier fatigué, à la coque écaillée et au bas­tingage rouillé mais qui, vaille que vaille, continue à fendre les flots. Sauf quand sur­gissent les patrouilleurs israé­liens. « Ils ont tiré sur le bateau », se sou­vient Ahmed, un solide gaillard pas impres­sionné plus que ça, en mon­trant la cabine de pilotage trans­percée comme une pas­soire. « On a fait comme ils veulent  : on s’est mis en caleçon pour montrer qu’on ne portait pas d’explosifs et puis on s’est jetés à l’eau et on a nagé jusqu’à leur bateau. Là, ils nous ont menottés et nous ont bandé les yeux avant qu’un autre pêcheur pales­tinien ne vienne nous chercher. » Le bateau a été emmené au port d’Ashdod. « Avec cette immo­bi­li­sation, j’ai perdu plus de 20 000 dollars  », assure le vieil El Hissi. Mais quel est le crime commis par ces pêcheurs  ? Ils auraient osé franchir la ligne vir­tuelle des 6 milles auto­risés par les Israé­liens. Les yeux d’El Hissi se plissent. Sur le sable, il fait un schéma som­maire. La côte. Gaza City au milieu. Au nord Tel-​​Aviv l’israélienne. Au sud, Al-​​Arich l’égyptienne. Il joint les deux villes d’un trait vif. « Voilà la ligne qu’on ne peut pas dépasser. Et comme par hasard, c’est au-​​delà que c’est le plus pois­sonneux. Comme ça les Israé­liens sont seuls et rem­plissent leurs filets », remarque El Hissi, en effaçant son dessin d’un coup de pied rageur.

Du nord au sud de la bande de Gaza, on pourrait mul­ti­plier les exemples de ces vies au rabais, broyées par l’occupation. Le sen­timent du rien. Un goût acre sur les lèvres en per­ma­nence. Des remontées d’acide dans l’estomac et un cerveau qui éclate à force de ques­tions sans réponses sur le sens des choses. Et une en par­ti­culier qui s’écrase sur les parois de la boîte ­crâ­nienne, comme me l’a dit un habitant de Kahn Younes  : « Vivre ou mourir, quelle est la dif­fé­rence lorsqu’on est enfermés dans la bande de Gaza  ? »

Si les Israé­liens pensent pouvoir en finir avec la résis­tance du peuple pales­tinien, ils se trompent. Ce ­qu’attendent les Pales­ti­niens, notamment à Gaza, c’est la récon­ci­liation entre les prin­ci­pales for­ma­tions poli­tiques, le Fatah de Mahmoud Abbas, qui contrôle la Cis­jor­danie, et le Hamas de Khaled Mechaal, qui règne sur la bande de Gaza. Au ­début du mois, les deux hommes se sont ren­contrés au Caire pour la pre­mière fois depuis plus d’un an et sont convenus de mettre en œuvre l’accord de ­récon­ci­liation signé en avril 2011 mais jamais appliqué. Cet accord pré­voyait une réuni­fi­cation de la direction pales­ti­nienne. Il appelait également à la tenue d’élections orga­nisées par un gou­ver­nement d’unité et à une réforme de l’OLP, l’Organisation de libé­ration de la Palestine, qui aurait fait une place au Hamas. Signe de la détente entre les deux mou­ve­ments, début janvier le Fatah a été autorisé, pour la pre­mière fois depuis que les isla­mistes pales­ti­niens contrôlent Gaza, à com­mé­morer la pre­mière opé­ration de gué­rilla contre Israël, menée le 1er janvier 1965 et reven­diquée par sa branche armée d’alors, Al Assifa (Tempête).

Quelques semaines aupa­ravant, c’est le Hamas qui fêtait l’anniversaire de sa création, vingt-​​cinq ans plus tôt. À cette occasion, le chef du mou­vement isla­miste, Khaled ­Mechaal, s’est rendu dans la bande de Gaza. Une façon d’asseoir son autorité alors que des réunions internes sont en cours, ­visant à renou­veler la direction. ­Au-​​­delà, c’est la stra­tégie à venir du Hamas qui est en jeu. Le mou­vement isla­miste va-​​t-​​il se recro­que­viller sur Gaza ou, au contraire, comme le veut Mechaal (avec, en soutien, le Qatar, l’Égypte, le Koweït et la Turquie), ouvrir le champ d’action pour, à terme, rem­placer le Fatah comme prin­cipale orga­ni­sation et inter­lo­cu­trice de la com­mu­nauté inter­na­tionale au nom du peuple pales­tinien (d’où l’enjeu de l’entrée dans l’OLP)  ?

Pre­mière étape de la récon­ci­liation, Hanna Nasser, qui dirige la ­com­mission élec­torale, devrait arriver aujourd’hui à Gaza. «  Paral­lè­lement, les dis­cus­sions se pour­suivent pour la for­mation d’un gou­ver­nement d’union nationale  », indique Achraf Joumaa, député du Fatah dans la bande de Gaza, tout en émettant des doutes sur la volonté réelle de récon­ci­liation. « En réalité, tout porte à penser que le Hamas veut prendre l’OLP petit à petit, dit-​​il. Le Fatah doit mettre en place une nou­velle stra­tégie en lien avec la situation actuelle des pays arabes. » Changer de tac­tique. C’est aussi la volonté du Hamas, comme le précise Sami Abou Zoheri, l’un des porte-​​parole du mou­vement isla­mique, qui sou­ligne cependant  : « Nous ne recon­naî­trons jamais Israël. » Une position ambiguë puisque le Hamas a soutenu l’initiative de Mahmoud Abbas à l’ONU de demande de ­recon­nais­sance de la Palestine dans les fron­tières de 1967. «Nous sommes un mou­vement de résis­tance et en même temps un mou­vement poli­tique, explique-​​t-​​il. Il faut donc tenir compte de la situation et changer de tac­tique pour le bien du peuple.» Un peuple qui, jus­tement, veut une récon­ci­liation poli­tique et géo­gra­phique. Le Hamas sait que sa cote de popu­larité est en baisse, même si sa résis­tance face à l’offensive israé­lienne a été appréciée et reconnue. Les dif­fi­cultés écono­miques et sociales, le taux de chômage qui dépasse les 30 %, la pour­suite des agres­sions israé­liennes  : autant d’éléments qui ali­mentent la colère des Gazaouis. Député Hamas de Khan Younes, ­Yahya Moussa est plus clair  : «Il faut renou­veler le projet de libé­ration de la Palestine et recons­truire l’OLP. Si à l’issue des élec­tions nous sommes ­majo­ri­taires au sein de l’OLP, alors nous chan­gerons son pro­gramme. Celui-​​ci prévoit une solution à deux États. Mais cette solution est impos­sible.  » Et de pré­ciser  : «  Nous ne voulons pas tirer l’OLP en arrière, mais cor­riger les erreurs.»

L’un des enjeux futurs est également la place de la gauche pales­ti­nienne. D’autant que les pro­chaines élec­tions concer­neront non seulement le conseil légis­latif pales­tinien mais également la repré­sen­tation au sein de l’OLP. «Nous sommes pour une stra­tégie de résis­tance popu­laire », insiste Walid Awaf, membre du comité central du Parti du peuple pales­tinien (PPP, com­mu­niste) et qui a joué un important rôle d’intermédiaire entre le Fatah et le Hamas. Rabah Mohanna, membre du bureau poli­tique du Front popu­laire de libé­ration de la Palestine (FPLP), regrette que «la gauche pales­ti­nienne soit encore trop faible pour faire pression sur le ­Fatah et le Hamas » et met en doute «la réelle volonté de récon­ci­liation de ces deux orga­ni­sa­tions ». Il note également que « les Frères musulmans égyp­tiens veulent garder de bons contacts avec les États-​​Unis et font donc pression sur le Hamas pour qu’il s’inscrive dans un pro­cessus poli­tique avec Israël. Dans le même temps, Tel-​​Aviv veut une OLP faible. C’était d’ailleurs l’un des buts des accords d’Oslo ». Pour Rabah Mohanna, la gauche arabe et la gauche dans le monde devraient se mobi­liser plus, sou­tenir le PPP, le FPLP ou le Front démo­cra­tique pour la libé­ration de la Palestine (FDLP).

À Ezet Abed Rabbo, Mohamed Abed donne des consignes aux ­ouvriers qui ter­minent la construction de sa nou­velle maison. La récon­ci­liation, bien sûr, il est pour. Mais pour l’heure ses pré­oc­cu­pa­tions concernent plus la survie de sa famille. «Je ne suis d’aucun parti, je suis pour la paix, dit-​​il. On en a assez de la misère. Il ne faut plus qu’il y ait de guerre. Main­tenant, il faut que les gou­ver­ne­ments ­occi­dentaux fassent pression sur Israël. Parce que le fait qu’ils ne soient pas à nos côtés favorise l’intégrisme et le terrorisme.»