De la mer à la cité HLM, Marseille revisitée par ses archives

Marseille: des archives et de l'art pour raconter l'enfermement

Les Archives départementales des Bouches-du-Rhône ont à cœur de présenter au plus grand nombre les trésors cachés dans ses rayonnages, découvrant ainsi le riche patrimoine conservé et donnant des points de vue inédits sur l’histoire passée et présente des femmes et des hommes par des propositions culturelles. Cette rentrée, c’est la question de l’enfermement à Marseille, à rebours de l’image de Marseille ville ouverte sur la Méditerranée et l’Orient, qui est au centre de l’exposition qui est présentée depuis le 17 septembre et qui s’achèvera le 21 janvier 2012.

« A l’image de la chaîne qui barrait le port de Marseille, empêchant les bateaux d’entrer comme de sortir, il est un ensemble de chaînes qui construisent et organisent la vie d’une cité portuaire, qui la protègent autant qu’elles la privent. Des chaînes qui enferment, retiennent, stockent, immobilisent… » tel est le propos de l’exposition réalisée sous la direction scientifique et artistique de Philippe Artières et Ludovic Burel.

Cette exposition est, comme souvent pour les idées originales et atypiques, la rencontre entre une préoccupation, celle de Jacqueline Ursch, directrice des Archives départementales des Bouches du Rhône, « de faire découvrir des archives comme des objets pleins d'humanité et reflétant la vie réelle des hommes et des femmes et pour cela de réaliser des expositions liant archives et art contemporain» offrant ainsi au public des œuvres sensibles qui produisent sens et émotion et un historien-philosophe, Philippe Artières, qui mène de son coté une réflexion sur les archives et leurs fonctions sociales dans nos sociétés contemporaines.

« C'est un peu le hasard d'une rencontre, fin 2009, avec Philippe Artières puis une approche de ses ouvrages et de son thème de prédilection : l'enfermement (thème de Foucault) qu’est née l’idée de travailler avec lui et sur ce thème » raconte Jacqueline Ursch.

A visiter l’exposition, on comprend vite l’hypothèse qui a fondée la construction de cette exposition : la mer, en elle-même, et les bateaux sont les premiers lieux d’enfermement, de clôture, de mise à l’écart. Puis, il y a l’île, à l’approche de la terre certes mais une île dont l’exposition nous donne à voir comment à son tour elle est une des figures de l’enfermement, du contrôle, de la quarantaine.

focus sur la chaîne du port
L'entrée du port de Marseille et le plan de la citadelle et du fort de Saint-Jean, située sur la mer Méditerranée en Provence (2 Fi 142). Coll. AD13



Entre l’île et le rivage, l’exposition fait un focus sur la chaîne du port, cette chaîne en métal, placée dans l’eau, quasi invisible mais rendant infranchissable l’entrée à Marseille. Troisième barrière à franchir, celle des docks, des douanes et du centre de rétention d’Arenc. Puis l’hôtel, qui devient centre de transit quand on veut fuir le nazisme et les lois raciales et politiques ou lieu clos dans le «quartier réservé» à la prostitution.

Enfin, la cité HLM, ultime point de cette cartographie de l’enfermement. Des images et archives sonores donnent à voir et à entendre les camps provisoires devenus bidonvilles, la géographie des relogements dans les cités qui forment ce que l’on nomme aujourd’hui les quartiers Nord de Marseille ou encore les foyers de travailleurs qui racontent l’histoire de l’immigration et de ces communautés d’hommes seuls aujourd’hui à la retraite et souffrant de solitude et de grande précarité.

Tout cela aurait pu être faire l’objet d’une exposition de documents d’archives, simplement. Pour sténographier le propos et l’archive, Ludovic Burel, artiste et éditeur, a été associé à l’élaboration de cette exposition. Une exposition qui met en scène tout ce qui compartimente : les archives et leurs listes ou paquets ou registres dans les cinq espaces successifs de la figure multiple de l’enfermement.

On notera le parti pris intéressant de montrer le visible et l’invisible du travail de l’archiviste : par exemple, la présentation au public de registres fermés du centre de rétention d’Arenc (renfermant des listes qui ne peuvent être encore rendues publiques légalement au vu du délai entre versement aux archives et communication au public), la représentation par l’artiste des « fantômes » des archives, ces pages blanches que viennent remplacer tout document qui est sorti des archives.

Ou encore de permettre aux visiteurs de repartir avec une trace de l’exposition grâce notamment à la reproduction d’une cartographie de cité intégrant des documents d’archives. Ainsi, « les archives ne sont pas déconnectées du temps présent puisque nous continuons chaque jour (pratiquement...) à travailler pour archiver de la mémoire vivante, présente. Les artistes, peu à peu, commencent à s'approprier les archives comme une source d'inspiration. Art et archives, c'est un beau sujet !» précise Jacqueline Ursch.

Cette exposition, enfin, qui connait une fréquentation en continu depuis son vernissage, est accompagnée de propositions de visites commentées aux formats variés : visites théâtrales, visites commentées, visite-sensibilisation pour les professionnels du social, balades sur sites, conférences.

« Pour les Marseillais, c'est la redécouverte de lieux qu'ils connaissent mais rarement sous ces différents aspects » constate Jacqueline Ursch. « Mais c'est aussi l'occasion, au travers de la programmation concomitante de parler, des "sans-voix", de mettre en scène pour des enfants des histoires écrites dans les documents, de découvrir sur place des lieux plein de ces histoires dans des balades urbaines etc.

Ou encore, en lien avec la Première Biennale du Réseau pour l'Histoire et la Mémoire des Immigrations et des Territoires de découvrir la situation du migrant lorsqu'il arrive au port de Marseille et, à travers le temps, toutes ces étapes de vie, administratives et de contrôle qu'il doit franchir "du bateau à la cité" ».

INFORMATIONS PRATIQUES

Archives départementales des Bouches-du-Rhône
Du 17 septembre 2011 au 21 janvier 2012
18-20 rue Mirès – 13003 Marseille Tél : 04 13 31 82 08
Entrée libre, du lundi au samedi de 10h à 18h et jusqu’à 20h les soirs de manifestations
Fermetures : les 31 octobre, 1er, 11 et 12 novembre ; du 24 au 31 décembre
Site des Archives : www.archives13.fr
En savoir plus sur les activités proposées autour de l’exposition : http://www.archives13.fr (rubrique programmation)