"Une chose est sûre, les mesures prises dans le cadre de la loi de finances méritent d’être mieux expliquées..." (Samir Taieb, ministre de l'agriculture et des ressources hydrauliques" (DR)

Tunisie : « Les difficultés économiques constituent une réalité incontournable » (Ministre de l’agriculture et de l’eau)

Ministre de l’Agriculture et de l’Eau, Samir Taïeb, secrétaire général du parti Al Massar (gauche), continue de justifier la politique du gouvernement et estime que des réseaux mafieux opposés à la campagne anticorruption manipulent la détresse des jeunes. Il reconnaît cependant que la contestation des mesures de la loi de finances est légitime.

_.La Tunisie a connu plusieurs nuits consécutives d’affrontements entre manifestants et forces de l’ordre à la suite d’une contestation sociale… Y a-t-il un risque d’embrasement de la rue ?

Samir Taieb : La question se pose, dans tous les cas, de savoir qui a intérêt à se livrer à des actes de casse et de pillage durant la nuit. Les manifestations doivent avoir lieu dans la journée, dans le calme et la sérénité. Les forces de l’ordre ont pour mission de les encadrer et de faire en sorte que tout se passe bien. Nous vivons en pays de liberté, sous la protection de la Constitution. Les choses sont assez difficiles comme ça, il ne faut pas en rajouter. Ce sentiment est partagé par la grande majorité de la population.

_.Reste que les raisons de la contestation sont, elles, bien réelles : un chômage à plus de 15 %, dont une majorité d’universitaires ; l’inflation à plus de 6 % en 2017… La réaction n’était-elle pas prévisible ?

S. T : Une chose est sûre, les mesures prises dans le cadre de la loi de finances méritent d’être mieux expliquées. Celles-ci sont certes douloureuses, mais les sacrifices sont partagés par toutes les catégories de la population, à commencer par les plus favorisées. Parmi les contestataires de cette loi, il y a d’ailleurs des chefs d’entreprise, des personnalités du monde des affaires. Certaines hausses vont effectivement toucher les plus vulnérables. Reste qu’une lecture sereine de cette loi de finances révèle que les mesures d’accompagnement et les transferts sociaux existent bel et bien, et n’ont jamais été aussi élevés. Cela étant, les difficultés économiques du pays constituent une réalité incontournable. Le gouvernement a choisi la voie la plus difficile. On aurait pu, comme l’ont fait nos prédécesseurs, continuer à ne rien changer, ritualiser les mécanismes antérieurs de peur des réactions dans la rue. Nous avons fait le choix de la franchise et de la clarté.

J’ajoute qu’il y aura, dans les jours à venir, des points presse de responsables de la sécurité, de la défense ou de la justice. Car, les faits sont là : oui, de l’argent frais a largement circulé parmi les manifestants ; oui, on a arrêté à des « distributeurs de billets » des jeunes qui se livraient à des actes de casse et de pillage durant la nuit… Oui, on a vu des proches de ceux qui sont actuellement en prison à la suite de la campagne anticorruption fomenter des troubles, encourager à la destruction de biens… L’appellation cercles ou réseaux mafieux est appropriée. En réalité, ce n’est pas la loi de finances, votée de façon démocratique, qui est en cause, mais bel et bien les résultats de la campagne anticorruption.

_.On parle également de retour en force des milieux d’affaires liés au régime du président déchu Ben Ali, de la restauration de son système…

S.T : Je suis ministre de ce gouvernement et vous savez très bien que je n’appartiens pas à ce milieu. Je tiens à dire que les choses sont un peu exagérées. Je n’ai pas vu ces gens-là rôder autour des institutions de l’État et je n’adhère pas à cette thèse de la restauration du système dont vous parlez. Aujourd’hui, en Tunisie, notre volonté est d’imposer, par-dessus tout, l’autorité de la loi. Toute personne impliquée de près ou de loin dans une forme quelconque de corruption doit être poursuivie. Hommes d’affaires, anciens ou nouveaux, ceux qui ne violent pas la loi n’ont rien à craindre. Dans le gouvernement auquel j’appartiens, nous sommes convaincus que la phase de transition démocratique est en voie d’achèvement et qu’il faut normaliser toutes les situations. Nous aspirons à être définitivement un État de droit, avec des obligations et des responsabilités.

Source : l’Humanité Dimanche n° 593