"YADRA!", un spectacle de l'association "Une Terre Culturelle"
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La présentation publique du spectacle pluridisciplinaire Yadra!, organisé par l’association Une Terre Culturelle, a eu lieu durant le weekend du 12 au 13 septembre, au cœur de Marseille, à la Maison de la Région sur la Canebière et à la bibliothèque Alcazar de Belsunce.
Cette pièce de théâtre est le fruit d‘un échange interculturel entre l‘Allemagne, la France et l‘Algérie. Les jeunes participants âgés de 18 à 30 ans ont travaillé respectivement une semaine à Berlin, à Oran et à Marseille autour de la thématique : « Se souvenir pour construire l‘avenir“.
Désormais en paix depuis 70 ans, l‘Allemagne et la France se sont néanmoins combattues dans trois guerres atroces, une expérience a marqué et marque aujourd'hui encore des générations entières d'Allemands et de Français. De même, le cinquantenaire de l'indépendance de l‘Algérie rappelle notre Histoire commune, la conscience de la libération de ce pays de la domination coloniale française et les nouvelles approches toujours hésitantes après de longues décennies de silence.
Nos jeunes ressentent-ils encore la douleur de nos histoires entrecroisées ? Comment percevrons-nous l‘autre et comment imaginons-nous notre avenir commun? Afin de se rencontrer sur les pas des leurs ancêtres, les participants allemands, français et algériens ont écrit un spectacle qui imbriquait plusieurs expressions artistiques: mêlant musique, vidéo, théâtre, poésie, danse et dessin sous les yeux d'un public invité à découvrir une véritable rencontre algéro-franco-allemande.
« Le fait d‘avoir des racines maghrébines n'est pas forcément mauvais. »
Le spectacle de Yadra s'ouvre sur une projection vidéo qui rend hommage à M. Claude Lasnel, un éducateur et formateur qui s‘est engagé depuis les années soixante en faveur de l‘amitié franco-algérienne. Il nous raconte la difficulté de son amie Louisa lorsqu’elle a construit au cours des années son identité multiple, européenne et maghrébine:
« Après être retournée au Maghreb, j‘avais finalement compris que le fait d‘avoir des racines maghrébines ne peut pas être mauvais. Cette différence peut nous enrichir. »
La voix de Louisa se mêle alors aux mots chuchotés des acteurs et elle se démultiplie dans l’espace où résonnent les sonorités des trois langues: allemande, française et arabe.
Debout dans une file, les acteurs figurent les multiples corps de ces sons, se rencontrant les uns les autres, exprimant et reprenant des inflexions étrangères.
A suivre les acteurs sur scène, s’imitant et s‘ignorant à la fois car ne parvenant pas à saisir la langue de l’autre, le spectateur comprend que c'est l‘échange seul qui donne vie à des cultures soi-disant inaccessibles. Un échange silencieux mais tenace, avec son écho de mots inconnus et insolites qui suit la tonalité des corps, la souplesse des gestes et la mélodie des langages.
« Peu importe la langue quand les yeux comprennent ce qu'ils regardent.»
"Je ne suis pas un savant mais mon esprit est stimulé » « Ich bin kein Weiser aber mein Geist ist beflügelt », dit la figure en arabe dialectal de l‘Algérie, prototype de l‘interculturalité.
Lorsque ce stéréotype de l'échange tri national nous parle, les panneaux avec des mots français et allemands nous aide à comprendre cette musique d‘une langue lointaine.
Les mots des acteurs invitent au déchiffrement et trouvent ailleurs un lieu de compréhension. Mais où ? Un au-delà des trois contextes culturels existerait-il? Peu importe la langue quand les yeux comprennent ce qu‘ils regardent, quand paraît l‘étape suivante de notre apprentissage interculturel. Dans la scène suivante nous arrivons dans un espace hybride où les contextes s‘imbriquent l‘un dans l‘autre : « C‘est l‘endroit idéal! Qu‘est-ce que vous en pensez ? », disent les architectes du troisième espace, simplement vêtue de noir et laissant leur parole résonner.
C’est la mondialisation qui marquera le cadre des aspects qui rapprochent et éloignent nos sociétés en deça et au-delà du Rhin et de la Méditerranée. En arrière-plan, sur l‘écran le public témoigne comme une main dessine un pont au détroit de Gibraltar, là où le continent de l‘Europe et de l‘Afrique ne sont séparés que de 14,4km.
Le monde à l‘envers, pourquoi pas?
Construisons un pont ! Quelle idée révolutionnaire de considérer que les Européens envahissent l‘Afrique pour se faire une vie ! »
La nuit précédente, un bateau de Suède s’est noyé dans la Méditerranée, juste devant la côte du Liban. » annonce un voix à la radio. Une autre ironise : « Ces Allemands avec leur structure, ils font croire aux Africains que tous les Européens sont des travailleurs. » Le monde à l‘envers, pourquoi pas? Souvenons-nous des raisons pour nos premiers contacts, nos envies, nos besoins, nos peurs emballées par nos cultures et par les gouffres meurtriers de notre espèce humaine.Un Algérien qui rêve de l‘Allemagne, de la bière et du football lorsqu'il se retrouve aux toilettes. Le voyage dans le futur et celui du passé s'achève au présent, dans des toilettes, lieu le plus intime. Un lieu qui embarrasse et rend attentif aux opinions exprimées. Un Algérien qui rêve de l‘Allemagne, de la bière et du football lorsqu'il se trouve aux toilettes. Mais cette femme imaginée avec des cheveux blonds et des yeux bleus reste inaccessible: Il se contente alors de dire « Wie geht‘s ?! ».
Provoquant l’effroi de la femme de ménage algérienne, le représentant de l‘Office Franco-Allemand se réfugie dans les toilettes des femmes afin de terminer de rédiger sa présentation d’un projet franco-allemand : « Se souvenir pour construire l‘avenir ».
« Mais Monsieur, qu‘est-ce que je dis quand il y a des femmes qui arrivent ? »
« Chère Madame, on n‘est pas femme ou homme, on le devient! J‘ai besoin d‘un lieu calme pour terminer cela!» réplique-t-il avec les mots libres de Simone de Beauvoir.
Lorsque son portable sonne, la représentante allemande de l‘OFAJ exprime son mécontentement et nous sommes en pleine guerre des mots. « Yadra » veut dire en arabe un « peut-être » interrogatif.
Malgré la proximité géographique de l‘Allemagne et la France, la différence culturelle de deux pays persiste. Et de l‘autre côté de la Méditerranée, l‘Algérie protège ce lieu intime et joue la complice.
Les rêves qui se construisent dans l‘intimité sont traduits en mots qui nous aident à nous débarrasser du poids du passé. C‘est ainsi que les toilettes deviennent un lieu de réflexion et de rêve.
Le vif débat qui a eu lieu avec le public après la séance a montré que les participants ont inventé une propre langue, « Yadra », une langue d‘interculturalité qui leur faire sentir et exprimer un véritable pont entre ces deux continents et ces trois cultures.
Les courts-métrages à la fin séparent les protagonistes du spectacle des jeunes de l‘Europe et de la Méditerranée: ce dont ils rêveraient, demande une voix off:
« Et vous, de quoi vous rêvez ? »
« Je rêve de pouvoir rêver », répond un participant algérien.
« Yadra » veut dire en arabe un « peut-être » interrogeant ; « Yadra » veut dire « Peut-être pourrions-nous rencontrer un jour sur le détroit de Gibraltar, et nous serions peut-être capable de voir l‘autre et, à travers lui, nous comprendre nous-mêmes.
Est-ce que le pont symbolise cette appartenance réciproque ? Une pensée de soi qui ne va pas sans une pensée de l'autre ? Et si ce rêve se laissait chanter, il serait une chanson simple, modeste et riche : Yadra !