Les audiences du Juge des Libertés et de la détention ont lieu dans une salle annexe, tout près du Centre de Rétention Administrative de Marseille. (J.C.S)

Marseille : Chroniques de rétention

Chaque matin, à proximité du Centre de Rétention Administrative de Marseille, se tiennent les audiences du Juge des Libertés et de la Détention, qui statue sur le sort des clandestins. 

10h du matin, à quelques centaines de mètres du Centre de Rétention Administrative du Canet (C.R.A), à Marseille. Une grille blanche s’ouvre. Le Tribunal de Grande Instance de Marseille a son annexe ici, au pied d’une bretelle d’autoroute. 

Tout autour, des immeubles, des murs avec des barbelés et de la végétation en friche. Une porte à tourniquet à passer. La salle d’audience est au bout d’une petite allée en pente douce. Les audiences sont publiques, quiconque peut y assister. 

Les visiteurs sont priés d’attendre à l’extérieur, le temps que le tribunal se mette en place. C’est l’heure. Fouille sommaire, ou pas, ça dépend des jours. Le policier de service demande d’éteindre les portables, et c’est l’entrée dans la salle d’audience

 

La routine

Une toute petite salle, avec quelques rangées de chaises disposées. Les visiteurs prennent place. Au bout, la Juge des Libertés et de la Détention (J.L.D) est assise. A sa droite, le représentant de la préfecture, à sa gauche, la greffière. Face à elle, le retenu, qui attend, debout, à côté de son avocat.  

D’emblée, il se dégage une atmosphère de routine. Comme un scénario bien huilé, qui se répète au quotidien, et que pas grand-chose ne peut venir perturber. 

Les personnes qui comparaissent sont dépourvues de titre de séjour régulier. Elles sont retenues au C.R.A depuis déjà quelques jours. 

La préfecture a besoin d’un certain délai pour vérifier leur identité, contacter les autorités consulaires dont elles dépendent, obtenir un laissez-passer et procéder à leur expulsion

Au terme d’une dizaine de minutes d’audition de l’avocat et du retenu, la J.L.D prononce vingt jours de rétention supplémentaires. Le clandestin signe un document, il lui est notifié qu’il peut faire appel, mais il restera retenu. 

Il regagne le couloir. Une policière aux cheveux rasés lance un “Suivant !”, guère plus engageant que celui de la chanson de Brel. Et le suivant fait son entrée. Voilà pour le rituel général, quasi-immuable, de ces matinées d’audiences. 

Dans des circonstances rarissimes, une assignation à résidence peut être prononcée. “C’est exceptionnel, un ou deux cas sur cent”, explique la juge.  

Ici, les gens sont des cas, des dossiers. Pourtant, chaque personne qui comparaît porte une histoire tellement plus dense que ces dix minutes éphémères. Chacun son parcours singulier, avec ce petit détail qui fait que le destin d’un clandestin devient celui d’un expulsé

 

“Suivant !”

Le premier est Tunisien et se présente comme un mineur. Mais les deux expertises, osseuse et physiologique, assurent qu’il a entre 18 et 19 ans. Son avocate fait une requête en nullité, en invoquant le doute sur son âge. Requête rejetée. 

“Voulez-vous retourner en Tunisie ?, lui demande la juge. 

- Non. 

- Pourquoi ?

- Il y a la guerre en Tunisie. 

- Il n’y a pas la guerre en Tunisie, relativise la juge, avec une moue rieuse. Il y a des difficultés, mais pas la guerre.”  

Vingt jours de C.R.A, le temps que la Tunisie reconnaisse son ressortissant et délivre un laissez-passer. 

“Suivant !” Il a une quarantaine d’années, s’est fait arrêter lors d’un banal contrôle d’identité. Il est Algérien, en France depuis neuf ans. Au bout de dix ans de présence, en tant qu’Algérien, il pourrait faire une demande de régularisation. 

Mais lors de son arrestation, il a donné un faux nom, avant de rectifier rapidement. “Ça, les juges n’aiment pas du tout”, expliquera ensuite son avocat, qui ne pourra pas faire grand-chose pour son client. 

Trois amis à lui sont dans la salle, ils lui ont trouvé l’avocat, mais savent déjà que tout est joué d’avance

 

“Ne me prenez pas pour une abrutie”

Il s’exprime avec difficulté en français. En plus du faux nom, il s’est déclaré sans domicile fixe lors de sa garde à vue. Or, il prétend désormais avoir une adresse, hébergé chez un proche. 

“Pourquoi avoir indiqué que vous étiez sans domicile fixe pendant votre garde à vue ?, demande la juge.

- Je n’avais pas bien compris. 

- Ne me prenez pas pour une abrutie. Vous êtes depuis presque dix ans en France, et vous n’aviez pas compris ?”

Inutile d’insister. Vingt jours de C.R.A. “Il est sérieux, il travaille, il a jamais eu d’histoire. A quelques mois près, il était régularisable...”, se désolent ses amis.  

“Suivant !” L’homme qui entre ne parle pas un mot de français. Il est chinois, une interprète l’accompagne. Il ne comprend pas vraiment ce qui se passe, malgré les efforts de la traductrice. 

Il est arrivé en France en avril. A Paris, il a échangé son passeport chinois avec un faux passeport taïwanais. Puis Il est venu à Marseille pour se rendre à Dublin, car on lui avait dit que les vols étaient moins chers au départ de Marignane. 

Une fois en Irlande, son faux passeport a été démasqué, il a été renvoyé à Marseille. Il demande à rentrer en Chine par ses propres moyens. Il le répète plusieurs fois. L’avocate fait valoir qu’il en a la possibilité matérielle. La juge semble dubitative. 

“Quels seront les délais pour les formalités ?, demande la J.L.D au représentant de la préfecture. 

- Oh, ça peut aller assez vite, il y a un consulat de Chine à Marseille.”

Alors vingt jours supplémentaires de C.R.A devraient suffire. Adjugé. L’homme ne comprend pas. La sentence est tombée, mais il insiste. Il voudrait rentrer en Chine par ses propres moyens. L’interprète traduit. “Vous avez possibilité de faire appel, Monsieur”, lance la juge. “Une signature ici, s’il vous plaît.”

 

La rétention comme une humiliation

“Suivant !” Celui-ci est tout jeune. A peine 18 ans, depuis mars. Il est Tsigane, né à Belgrade, en Serbie, il est en France depuis six ans. Il est handicapé, sa main droite est déformée. Il vit dans le Vaucluse, avec sa famille. Il s’est fait arrêter parce qu’il n’avait pas sa ceinture en voiture

“Il faut mettre la ceinture, explique la juge, un brin paternaliste. 

- Mais j’étais à l’arrière. 

- Même à l’arrière, il faut mettre la ceinture, c’est la loi.”

Ses parents et sa sœur sont dans la salle. Pendant l’échange du jeune homme avec la juge, le père essaie de dire un mot. La policière au crâne rasé réagit vivement : “On parle pas !”

La discussion tourne autour de son statut éventuel en Serbie. 

“Mon nom, il est pas connu en Serbie.

- Comment ça, votre nom n’est pas connu en Serbie ? 

- Il veut dire qu’il n’est pas reconnu en Serbie, intervient l’avocate. Il est Tsigane, ils sont brimés en Serbie. Les autorités serbes ne le reconnaîtront pas et ne délivreront pas de laissez-passer. Je demande qu’il ne soit pas retenu au C.R.A.”

Mais parmi les pièces au dossier figure un papier tout chiffonné, à moitié déchiré. C’est un acte de naissance, en serbe. 

“Vous dites que vous n’êtes pas reconnu en Serbie, mais je vois là un acte de naissance, édité à Be... o... grad - pardonnez ma prononciation - où figure votre nom.”

C’est la mère du jeune homme qui a fourni cet extrait de naissance. Croyant bien faire, sans doute. “Il aurait mieux valu que la juge n’ait pas ce document en main”, dira par la suite l’avocate. 

Même si ça n’aurait probablement rien changé à la décision finale. Vingt jours de C.R.A supplémentaires. Les parents quittent la salle, le jeune homme regagne le couloir. Fin des audiences pour ce matin. 

Dehors, l’avocate du jeune Tsigane ne décolère pas. “La Serbie ne remettra pas de laissez-passer. Le renvoyer au C.R.A, c’est une humiliation, ça ne sert à rien, et en plus ça coûte cher.”

Au bout des vingt jours de rétention, si un étranger “en instance d’éloignement” - selon la terminologie administrative - n’a pu être renvoyé, le J.L.D peut prononcer de nouveau vingt jours de rétention supplémentaires. 

Après quarante-cinq jours de rétention, au maximum, si l’administration reste dans l’incapacité de renvoyer la personne, elle est remise en liberté. Jusqu’à la prochaine arrestation...