Les cités populaires sont plus que jamais dégoulinantes de misère, peuplées de jeunes chômeurs qui basculent naturellement dans la délinquance... (DR)

Marseille: lorsqu’on « vit le pire », même le FN ne fait plus peur

Marseille pavoise… la vieille dame de 2600 ans s’est refait une beauté, a pris un bain de jouvence. Son Vieux-Port légendaire, devenu piétonnier, grouille de touristes, le moral des hôteliers est au beau fixe, l’évènement « Capitale européenne de la culture 2013 » confirme son succès et retrouve un nouveau souffle avec l’ouverture du Musée des Civilisations de l'Europe et de la Méditerranée (MuCEM). L'ouvrage a séduit et ses premières expositions, dont le « Noir et le Bleu » rencontrent un vif succès. Tout est bien dans la meilleure des villes. Du coup, les Marseillais oublient les « affaires » impliquant des personnalités politiques de premier plan. Ce n’est pas le sujet favori à l’heure de l’apéro… à moins d’insister.

«Tous les mêmes ! Vous savez, on a l’habitude, et de toute façon, là haut, ce n’est pas plus propre », résume Mario, patron de bistrot dans le centre-ville, où le candidat du PS, Patrick Mennucci, a été élu avec 72% aux législatives contre le FN. « Ceci dit, un vote méchant n’est pas à exclure au premier tour des municipales » le FN ? « Mais oui, après on se dit oh là là… et on rectifie ». A quelques encablures de là, dans le quartier Noaïlles, on préfère plutôt pester contre le système de vidéosurveillance «pour la frime, qui ne sert à rien », car « les affaires passent et les réseaux restent, se reconstituent, vous m’avez compris », commente un commerçant, membre actif du comité d’intérêt de quartier (CIQ). Le clientélisme à toute épreuve en somme… Le député-maire d’arrondissement, Patrick Mennucci, préfère pour sa part parler de « crise morale et de la représentativité ». Selon lui, les « affaires » au plan national n’ont pas d’influence sur le climat politique dans la ville. Les épisodes politico-judiciaires locaux « contribuent en revanche à la montée du FN ».  

Une progression effectivement sensible dans les quartiers populaires (+ de 20%). Car en réalité, il y a ici deux villes en une … les trois mandats de la droite ont aggravé la fracture entre les zones urbaines du sud, bien équipées pour les besoins de populations en moyenne plutôt aisées, et celles du nord, cités de béton à perte de vue peuplées de familles en difficulté, où la pauvreté est vécue comme une fatalité.

Dans les premières, on rêve de tourisme d’affaires et on se réjouit de l’immobilier de prestige, cher à Jean-Claude Gaudin. « Marseille est à la mode ! » applaudit Yves Moraine, président du groupe UMP à la mairie, particulièrement proche du maire. « Les difficultés de la gauche locale et les affaires empoisonnent le climat politique de la deuxième ville de France » martèle-t-il. « La politique n’est surtout plus en phase avec les attentes au plan de la sécurité, de l’emploi, du transport, du logement », nuance le centriste Robert Assante (UDI), maire des 11èeme et 12ème arrondissements.

Hors de ces généralités, c’est en fait les paroles citoyennes qui restituent au mieux le contexte politique dans la cité phocéenne, laissent deviner les pistes naissantes d’une nouvelle donne. « Nous sommes la France d’en bas, catalogués quartiers nord ! » soupire Christopher, 30 ans, derrière le comptoir d’un bar proche « de l’avenue des kalach », précise-t-il, la voie rapide où ont lieu de nombreux règlements de compte. « Insécurité, immigration » voilà tout ce que l’on sait dire de nous », enchaîne-t-il… « Raciste ! » lance du fond de la salle un des quatre joueurs de baby foot. « Faites pas attention, c’est n’importe quoi, on a grandit ensemble ».

La discussion s’anime, chacun veut dire la sienne… A bâtons rompus, un constat s’impose : le sentiment d’exclusion est partagé, tout autant qu’une vague envie d’en découdre, d’en finir avec un système, un état de révolte permanente. « Qui donne l’exemple de la citoyenneté ? Si vous n’avez pas de réseau, vous ne travaillez pas. C’est la première des violences », rappelle Houda, militante associative dans les mêmes quartiers. « Il faut redonner de la crédibilité à la politique, pour que les jeunes adoptent un comportement civique, aillent voter. Pour l’instant, ils disent seulement qu’ils n’ont pas peur du FN, estiment qu’il n’y a pas pire que ce qu’ils vivent », explique-t-elle. Avec d’autres mères de famille, elle mène un travail de sensibilisation et constate « une prise de conscience progressive chez les jeunes de quartier, hors des clichés de la voie obligée du trafic pour s’en sortir ». Une tendance profitable au « mouvement citoyen » qui voit le jour dans la ville, note Sébastien Barle, chef de file d’Europe écologie les Verts (EELV), convaincu que « le système mis en place par Deferre (maire de Marseille de 1953 à 1986, ndlr) est à l’agonie, que l’achat de la paix sociale est de moins en moins possible». Face à l’UMP et au PS « qui se sont partagé la ville », il croit à « un très large rassemblement citoyen sur une ligne de rupture. » Un point de vue que partage Marie Bateaux du parti de Gauche, persuadée que ce mouvement « peut s’ancrer et prendre en main les choses de la cité ».

Politiquement, Marseille est à n’en point douter à un tournant. La droite menée très probablement par Jean-Claude Gaudin aux prochaines municipales n’a plus vraiment grand-chose dans ses cartons. Son projet pour la ville se limite à des opérations immobilières d’envergure, au développement du tourisme d’affaires, à l’activité de croisière… L’échec est sans précédent au plan social. Les cités populaires sont plus que jamais dégoulinantes de misère, peuplées de jeunes chômeurs qui basculent naturellement dans la délinquance, devenue quasiment un statut au passage à l’âge adulte. Sévèrement secoué par les « affaires » et la mise en évidence de réseaux clientélistes, le PS local traverse une phase difficile. Il lui faut remonter la pente et reconquérir de la crédibilité. Le reste de la gauche table à juste titre sur la montée en puissance du mouvement citoyen, mais encore faut-il s’atteler à la construction d’un projet alternatif et rassembleur en phase avec les attentes des populations laissés-pour-compte durant trois mandats, avec les opportunités de relance de l’activité industrielle autour du port. Le seul vrai barrage à l’extrême droite en embuscade dans la deuxième ville de France, qui surfe sur la peur et les déceptions.